Algérie No Future : à propos de « 2150, Année de l’Algérie » d’Idriss Bayou


Article à paraître dans la revue Machette n°0, revue de critique décoloniale (art, culture société)

Si vous vous rendez cet été aux Rencontres Photographiques d’Arles à la recherche du temps qu’il fait dans le monde des images, vous ne verrez pas l’œuvre d’Idriss Bayou, « 2150, Année de l’Algérie. »
Elle n’a pas eu, comme prévu, les honneurs des murs du Musée départemental Arles Antique car au jeu des fabulations spéculatives, elle a dépassé la règle non-dite du jeu docile de l’art actuel.


Mais comme toute revue de critique décoloniale qui se respecte, Machette ne se contente pas de ce que l’on veut bien nous montrer, de l’endroit où on nous demande gentiment de regarder à grand renfort d’une communication insistante, de cartels pleins d’euphémisme pour flatter les riches donateurs et caresser dans le sens du poil un électorat qui pourrait prendre ombrage d’un verbe un peu trop haut, d’une image un peu trop nette. Pas plus que nous nous soucions de ceux qui veulent transformer la médiation culturelle en pratique policière et la critique en publireportage. Nous prenons plutôt la peine de nous attarder sur ce qu’on essaie de nous cacher, sur ce que nous aurions pu voir, sur ce que nous aurions dû voir. L’histoire cachée derrière la parade de la diversité tellement fluide qu’elle en devient glissante.

En la matière, l’œuvre « 2150, Année de l’Algérie » de l’artiste et cinéaste Idriss Bayou, étudiant en 2ème année à l’Ecole Nationale Supérieure de Photographie (ENSP) d’Arles, est remarquable. Remarquable, autant par la force de sa proposition, l’efficacité de son dispositif, que par l’histoire avortée de son accrochage.« 2150, Année de l’Algérie » devait être exposée au Musée départemental Arles Antique du 7 juillet au 2 Novembre 2025 dans le cadre de l’exposition Mais pour qui la pierre se prend-elle ?
Elle ne le sera pas.
Les demandes répétées faites à l’artiste de menues « modifications » à apporter à son installation afin qu’elle ne froisse pas les susceptibilités politiques locales se sont progressivement transformées en un charcutage en règle. On ne sait plus trop à la fin qui a peur de quoi, qui anticipe le pire et finit par le produire. Mais ce qui est sûr c’est que le public averti des Rencontres Photographiques d’Arles ne verra donc pas cette œuvre qui promettait pourtant d’être l’un des gestes les plus finement politiques de la ronronnante manifestation arlésienne. Pour survivre dans ces marécages de l’art, on apprend donc à présent aux jeunes artistes a baissé les yeux, à regarder ailleurs et à s’habituer à devenir des vendeurs de pacotilles. Je vous entends déjà hurler à la censure qui, je vous l’accorde, sied parfaitement à l’air – et à l’odeur – du temps.

Mais plutôt que d’accompagner l’effacement indélicat d’une création qui gêne par un décrochage collectif – puisque les artistes, même jeunes, ne sont pas des moutons qui s’accoutument si facilement à de telles pratiques – nous faisons ici un autre pari pour aller au devant de l’épuisement qui guette celles et ceux que l’on cantonne trop souvent au bureau des réclamations. Gageons plutôt que le fantôme de cette pièce manquante va hanter la dite exposition et contaminer les œuvres amies qui s’y trouvent, dans une forme de solidarité spectrale qui fait écho à ce que le geste d’Idriss Bayou tentait justement de raconter. L’absente fait parler, elle fait trembler les murs. Ce qui est peut-être finalement une manière pour l’œuvre d’être présente qui prend tout son sens à l’heure où un hiver durable s’abat sur le fameux esprit français dans l’art et ailleurs.
Cela nous oblige à imaginer d’autres chemins pour faire vivre de telles propositions. Ce texte, accompagnée d’une documentation de l’artiste, en est évidemment une, en attendant que cette installation trouve des murs à la hauteur de ses ambitions. Ce qui ne saurait tarder. Car l’œuvre de Bayou ne manque ni d’inventité ni d’humour – grinçant – pour aborder la délicate question des relations mémorielles entre la France et l’Algérie.

(téléchargez l’article intégral et la documentation de l’artiste ci-dessous)


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