Dans le moment zombie (fr/eng)

English below

Un lieu a une fin. Elle ne coïncide pas forcément avec sa disparition.
Au contraire, on aimerait que cette fin du lieu soit un moment particulier de son existence, un terrain d’expérience où quelque chose pousse dans sa matière en décomposition. Cela sera forcément imprévisible. Et il faut faire tout notre possible pour que cela soit heureux aussi, pour que cela soit une belle mort, un composte riche et dur à cuire, une matière souple et résistante. Pour goûter à cette fin, il faut vouloir lire dans les restes, déchiffrer les héritages dans la putréfaction, retirer les diamants incrustés dans la viande boucanée, les pièces d’or déposées dans les orbites vides. Cette fin laisse un trésor un peu sale et bruyant qui appelle des organes courageux pour fabriquer un futur avec. Elle engage le corps qui veut savoir à trembler en sa compagnie. Ce n’est pas facile de faire son affaire de cette matière intempestive pour qui veut du nouveau et du neuf, pour qui veut s’installer sur une scène de crime lavée de la présence puante du passé.

Au chapitre des pratiques décoloniales, je placerais volontiers ce geste : savoir ramener la puanteur et les mauvaises manières des morts sur la scène du présent-futur, leur parfum irritant qui remplit les narines et les poumons. Imaginer un corps autrefois domestique, celui-là même qui s’était enfuit par une fenêtre cassée en tirant malicieusement la nappe des maîtres1. Le voici de retour, boitant sur jambe pourrie où germe des champignons magnifiques, visage nègre couvert de coquillages d’avoir passé trop de temps allongé sur les fonds marins avec une armée mi humaine, mi calamar. De son doigt de calcaire, il vient de nouveau griffer la table et y dépose cette cuisine d’histoires indigestes et dérangeantes qui chatouille les intestins. Juste le temps d’exposer une poitrine transparente qui dégouline sur sa cage thoracique et son dos où sont gravés tous les Codes, il ou elle disparaît déjà dans un bruit de ventouses humides en projetant des jets d’encre depuis un anus en forme de bouche bavarde. Comprend qui veut, cette langue-là. L’esprit farceur n’occupe pas la scène, il ou elle la traverse au rythme du boucan de squelettes qui se tapent les tibias quelque part aux alentours. La fin du lieu se doit d’être vitale et joyeuse, accueillante et bizarre, c’est une échappée, une danse, la lente glissade de créatures étranges et familières à la fois qui bouleversent, en passant, l’ordre du lieu. La fin refuse de se laisser imposer le silence, elle est bazar, fracas, cacophonie. Elle appelle à une traduction qui est déjà le lieu à venir.

Car la fin qui nous préoccupe n’a rien à voir avec celle de l’obsédant corps cadavérique du Mâle Blanc qui n’en finit plus d’agoniser bruyamment en occupant le cœur d’une scène qu’il ne veut quitter à aucun prix. Le voilà gros bébé ridé qui pleure et réclame qu’on change sa couche et qu’on lui donne le sein d’une amante soumise. Lui qui voit dans sa propre finitude la fin du monde, fin stérile et mélancolique, interdit toute vie qui ne saurait au service de sa libido usée. C’est le corps du vieux roi qui se prend pour la société, pour un monde où toute autre voix que la sienne est barbare. Nous ne voulons pas de cette mort-là. Nous lui bottons volontiers le cul.

On vous demande souvent de partager votre expérience de création de projets, de lieux, de situations de culture, de triomphes divers et d’aventures héroïques. Rarement l’expérience de la fin, qu’on ne veut voir. Alors qu’il faut savoir finir et qu’on y est mal préparé, il faut savoir laisser des traces, des beaux os à ronger, de la matière fertile. La fin du lieu est un lieu à partir duquel on peut regarder le lieu. C’est toujours un peu triste de voir finir un lieu. Mais à la fois, c’est aussi un peu triste de devoir s’accrocher à sa survie. Par principe. Juste parce qu’on ne veut pas que ça meure, au moment même où on ne sait plus vraiment ce qui meurt. Et ce qui ne meure pas.

La mort du lieu s’ouvre par le long moment zombie, cérémonie joyeuse qui met fin à la force de l’habitude, à la répétition de la même chose, l’usure du lieu dans sa forme la plus quotidienne, dans sa mascarade la plus permanente. Le lieu quitte son présent, commence à se décomposer, laisse alors les bruits alentours pénétrer son corps, la rumeur des luttes changer son état. Il lâche prise pour laisser venir des transformations possibles. Cette fin libère les temps du lieu, les vieilles pensées, les vieilles colères qui résonnent dans de nouvelles textures. Tout le monde ne sait pas que c’est la fin du lieu. Tout le monde ne le sait pas en même temps et de la même manière. L’apercevoir demande de l’attention, elle ne se voit pas à l’œil nu. Dans son sillage surgit des paysages disparus, des corps abîmés, des voix et des musiques sans maître. Et il faut savoir les accueillir. Bienvenue. C’est un rituel auquel certains se refusent, une cuisine qui demande de la mastication pour que tout ne reste pas bloqué au travers de la gorge.

L’espace Khiasma était refuge alors que Paris s’étalait sur ses marges crasseuses, chassait les vies pauvres, effaçait les traces. Et c’est là que sa disparition a pu avoir le goût d’une défaite. C’est pour cela qu’il faut mourir mais ne pas disparaître, ni comme refuge, encore moins comme récit.

Lieu de culture et de rencontre, d’art et de connivence, Khiasma a ouvert au public en 2004 aux Lilas dans la proche banlieue Nord-Est de Paris, alors qu’à la faveur de quelques nœuds d’autoroute, de terrains vagues et de mauvaises réputations, les rivages du département de la Seine-Saint-Denis avaient su jusque-là rester inaccessibles à la gentrification et aux appropriations cool. Khiasma partait alors de l’idée simple d’un lieu sans modèle, qui ne cherchait pas à ressembler à un centre d’art, qui se bricolait sans stratégie et se racontait en chemin sans légitimité, avec ceux qui essayaient de le faire ; récits polyphoniques, bavardages, braquages maladroits de significations, braconnage de formes. Khiasma naissait dans cette économie de l’accident, dans ce moment sans police de la culture. C’était avant que n’arrivent ceux qui savent, les systèmes-corps qui gèrent l’imaginaire du lieu, qui demandent des comptes, donnent des leçons et des manières, des méthodes, fabriquent un temps du lieu, chassent l’incertitude, maquillent le lieu pour s’y reconnaître, lui administrent des remèdes contre la peur, le soignent contre son gré, le domestiquent, l’endettent de choses qu’il n’a pas demandé. C’est de ce devenir qu’a tenté de s’enfuir Khiasma qui est aussi celui de la Seine-Saint-Denis, terrain inédit d’expérimentations culturelles et artistiques qui a dû apprendre à baisser les yeux devant les managers du grand récit du futur.

C’est pour cela qu’il faut savoir entrer dans le moment de la mort du lieu, qui devance de longtemps l’annonce de sa fin officielle, un moment secret où il se soustrait à la leçon bourgeoise, où il se défait pour permettre à d’autres formes de vie de l’habiter, où il se cache, dérive et disparaît déjà, se liquéfie, se sédimente. Qui veut le voir le voit quitter la scène, glisser des mains qui voulaient en faire propriété, réinventer des manières désordonnées de faire et de dire. Il se remet à fuir, au-delà de ce qu’il n’est plus, loin de ce qu’il n’est pas encore. Depuis la mangrove sans lumière où il erre, depuis le plancher sous-marin où il s’allie à d’autres vivants, le lieu lance cris et flèches empoisonnées. Il retrouve sa poésie coupante qui tord le cou à la grammaire administrative. Il s’amuse de la musique répétitive des discours sans consistance, de la capture des mots. Il se rend imprononçable. C’est la phase zombie du lieu, longue veillée mortuaire, lente décomposition de son corps.

Il survie maintenant dans les gaz de ses propres organes qui pourrissent. Comme un esprit échappé de son enveloppe, il ricane. Car il a appris à vivre dans sa mort.

La collection de textes courts qui suit, parue à l’automne 2018, participe à ce conte infini depuis le lieu de la mort de Khiasma, échos d’une histoire qui se décompose et se recompose dans la proche banlieue de Paris.


2.
Parler avec des mots à soi

Dans la longue histoire de Khiasma, vient le moment d’essayer de raconter une histoire concrète et matérielle qui a nourri l’imaginaire situé d’un lieu. Dans la cour d’un hôtel social, une imprimerie. La précarité et l’amitié, les voisins et les alliés, les fidèles et les oubliés, les dettes, la colère et la fatigue, les soirées improbables et les après-midi de fête, les politiques hypocrites et les politiques idiotes qui inventent sans cesse de nouvelles saveurs au dégoût. L’amour farouche pour la Seine-Saint-Denis alors qu’elle entre avec nous dans sa phase zombie. Finis les corps interdits, les présences amicales et obliques quand la nuit tombe, les cafés kabyles et les fumées communistes, ceux qui parlent trop fort à l’aube, ceux qui ne font que migrer, ceux que l’on tue et ceux qui se tuent en courant comme la seule manière possible et désirable de traverser une vie qui ne compte pas. Nous avons une dette envers ces histoires, il faut les raconter avec des mots choisis, des mots qui en ont pris plein la gueule mais qui regardent droit dans les yeux, des mots à soi.

Parler avec des mots à soi ne se limite pas seulement à une question de langue. C’est aussi défaire un certain encodage des expériences les plus concrètes et parfois les plus fragiles de nos vies, leur encapsulage dans des mots-clefs qui forment la base du trafic fluide et anglophone des autoroutes de la pensée d’aujourd’hui – et de leur économie de l’attention – où toute existence peut être dite par une poignée de narrateurs.trices en suspension dans les gaz de la globalité et répétées jusqu’à l’usure par une assemblée d’élèves enamourés et d’espèces serviles.

Car de toute évidence, il est toujours question d’amour et de soin quelque soit la violence qui est faite aux mots et par les mots. Et si vous ne le comprenez pas, vous ne serez plus invité. Et cet amour religieux pour la répétition fait de la main soyeuse des inventions les plus poétiques, une lame qui tranche dans la nuit, une torche jetée à la face de ceux qui se cachent dans des formes de vie de peu. On en viendrait presque à ressortir le nègre de la cave obscure où on l’avait jeté et où il se consumait en silence pour lui retirer quelques derniers principes vitaux, une étincelle avant qu’il ne soit définitivement épuisé. Car il y a urgence à nourrir le corps malade des institutions de la culture, à verser la bouillie dans la bouche édentée d’un vieillard dont il faut changer les couches et le masque. Il ne faudra ainsi pas longtemps avant que le Centre Pompidou ne marronne, déjà les Kunsthalles et les centres d’art se créolisent et probablement bientôt un MoMA queer coproduira des imaginaires indigènes avec une Tate fugitive. C’est ainsi de l’économie grotesque des pratiques minoritaires, devenues les motifs du marché néolibéral des savoirs désarmés. Les corps dangereux et les territoires dépossédés sont maintenus à distance raisonnable et les polices culturelles assurent un cordon sanitaire. Tout va bien. Tout est calme ce soir dans la Périphérie.

Dans cette économie gloutonne des sujets qui a l’amnésie tenace, on en viendrait presque à devenir avare de conversations alors que la production même d’un lieu véritable dépend grandement de notre capacité à la pensée chorale et à la circulation de la parole, surtout quand celle-ci n’est pas trop informée et qu’elle essaye de trouver en chemin ce qu’elle veut dire, qu’elle ne craint pas de décevoir et de ne pas être de la famille. Qu’elle s’en fout de parler trop fort et en même temps que tout le monde. Le lieu dépend aussi de cette hospitalité-là pour la pensée qui dérange, pour le corps qui ne sait pas, qui apparaît sans annonce, accidentellement, dans une langue pas encore ferme sur un terrain toujours mouvant. C’est le mec bourré qui entre dans la cour et raconte sa vie de poète, le voisin en robe de chambre qui perd la voix ou la mémoire, c’est la fille qui débute mille phrases et n’en finit aucune, les enfants qui rôdent comme des chats et ceux qui cherchent un peu de chaleur avec des yeux phosphorescents. Le lieu dépend d’une bienveillance sans police qui ne peut être dite, un principe actif qui simplement tient les murs mais n’est une valeur sur aucun marché du « love ». C’est juste être ici avec ceux qui sont ici.

Mais situer un lieu n’est pas qu’une affaire de géographie, ce n’est pas seulement un gentil exercice destiné à épater les touristes de l’art et les vacanciers de la politique. On n’a pas forcément envie d’être de ces petits paysans ébouriffés, de ces artisans râleurs dont on vient admirer, avec une accolade condescendante, la production authentique, la fabrication d’un local forcément amazing and beautiful. Situer un lieu, c’est porter une attention à ses conditions matérielles d’apparition et d’existence, à sa crasse et à sa merde, aux lâchetés, aux peurs et aux renoncements aussi, à ce que cela réclame et coûte, et à qui cela coûte, à ce qui n’a pas été examiné pour dire son histoire, à ceux et à celles qu’on a occulté, jetés dans l’ombre. C’est faire la nique aux raccourcis violents et à l’ignorance insupportable de ceux qui indéfiniment découvrent que vous existez en se regardant eux-mêmes dans le miroir de votre corps et en fronçant les sourcils quand ils ne s’y reconnaissent pas. C’est essayer de parler avec ces mots-là, affectés par la colère et l’étonnement d’être toujours vivants. Parler à nos alliés proches et lointains. Comme un lieu, un lieu zombie. 

3.
Le lieu se fait en nous

Il aurait été plus facile d’être juste une poétesse, authentique, politique et sereine, un poète féministe bien sûr, évidemment, et communiste de la bonne période, ou un type libertaire, drôle et cultivé, un gars sûr, une fille fluide, qui partout trouvent leur place, qu’on oublie dans les tapisseries des salons bourgeois et qui apparaissent soudainement révolté·es le temps d’une soirée électorale.

En colère quand il faut et bon compagnon pour le reste, amie sans réserve et sans rancune. Capable d’oublier les situations les plus sordides, témoins amnésiques de gestes qui blessent, du regard vide du vigile noir, des corps qu’on interdit discrètement à la porte des lieux sûrs, jamais du mauvais côté des choses, juste à la surface souple du rideau sans le lever, et qui savent jouer de la fable cool des possibles, des chacun-fait-comme-iel-peut-et-que-le-la-meilleur.e-gagne.

Mais la carte est aussi peuplée de ceux et celles qui ne passent pas, pour qui ça ne va pas être possible et qui ne l’ont pas choisi, mais qui le sentent très tôt et qui font avec cette sensation particulière tout un tas de choses qu’il ne faut pas faire. A commencer par vouloir parler et regarder derrière le rideau. Comme la femme de Barbe Bleue qui fait le geste fatal et qui devient témoin sans le désirer, témoin de tout son corps, marquée, jusqu’à ne plus pouvoir faire comme si, comme avant. Ça ne va donc pas être possible pour ces femmes et ces hommes qui ont pourtant appris à faire pipi là où on leur dit et à écouter les leçons de ceux qui savent toujours comment faire et vivre toutes les vies possibles, y compris la vôtre. Quand on n’a pas les moyens, on attend que vienne notre tour, on patiente dans les toilettes de l’histoire. Car si on n’a pas les moyens, pas les bons gestes, la parole un peu en biais, le profil flou, si on ne peut pas construire les conditions idéales, la surface lisse et jamais percée des conditions idéales alors il faut se taire car on ne va pas bien faire. Faire un lieu, vraiment, c’est percer cette surface de la fable du politique immaculé, c’est se bagarrer avec les conditions, c’est plonger à la source boueuse d’une situation et demander d’où elle vient et à qui elle coûte vraiment à de gigantesques sangsues qui se prélassent dans les bas-fonds. Il ne faudrait pas le faire. Il faudrait rester immobile et silencieux, rechercher la pose parfaite, l’image parfaite et sans grain. Savoir faire bonne figure.

Mais il a fallu faire un lieu. Fatalement. Pourquoi donc ? On ne le sait pas. Khiasma est un accident qui est si signifiant avec le temps qu’on aurait du mal à le penser comme un fait du hasard. Mais du mal aussi à l’expliquer autrement que comme une démangeaison qui un jour devient une pensée en acte. Le lieu devait se faire. Et c’est nous qu’il a trouvé cette fois-ci en rôdant dans les parages. Il a fallu faire un lieu ou c’est peut-être plutôt « le faire lieu » qui passait donc là qui nous a attrapé de sa puissance animiste. Il trouvait qu’on avait quelque chose de cassé peut-être, qu’on était une matière bon marché sûrement. Il ne faut pas faire les malin·es car le lieu nous a trouvé un peu ignorant·es et un peu léger·es. Il a été indulgent avec ça, c’est clair. Il nous a laissé le temps d’apprendre et le temps de défaire des sales histoires, et aussi d’inventer nos vies en ratant à répétition. Le lieu s’est fait en nous, de nous tous et toutes qui y avons travaillé, y sommes passé·es, y avons cherché quelque chose, une main chaude, de l’eau fraîche pour éteindre les incendies de la ville. Le lieu colle sa membrane au-dehors, nous sommes sa peau et ses nerfs. On filtre la colère qui fait le lieu, comme la joie, qui fait le lieu. Faire lieu, c’est être pris, comme la femme de Barbe Bleue, la main et bientôt le corps tout entier au cœur des problèmes, dans la matière même du politique qui tour à tour nous éblouit, nous déçoit et nous blesse.

Le lieu est surprise et bassesse, est plaisir et laideur. Le lieu est déceptif et c’est en cela qu’il est généreux, il nous apprend ce que nous ne voulons pas savoir, il nous met en présence et nous force à vivre et à penser avec des pensées indésirables. Il n’est pas qu’une question d’affinités, il est aussi matière à malentendus. Il nous traverse contre notre gré. On aura couru longtemps après le juste accord, la bonne façon de se comprendre et puis on aura compris que les pires frustrations, les attitudes les plus stupides sont des cadeaux du lieu autant que les amitiés les plus profondes. Ce qu’on a mal fait, les erreurs, les mots de trop et les mots qui manquent sont les trésors du lieu, son savoir particulier, puissant et toxique, difficile à saisir, perles du lieu au plus profond de la merde du lieu.

Il n’y a pas une manière héroïque de faire lieu, aucune chance de réussir durablement. Chaque bonne nouvelle apporte son pesant de crasse, toutes les idées ont alors un poids et une forme et elles viennent poser leur grosses fesses sur le clavier de votre vie et écrivent autre chose que ce qui était prévu.
Le lieu n’a pas besoin d’héros ni d’héroïne, même s’il réclame et consomme des sacrifices. Il est une matière sale, une distillation ambiguë et difforme de toutes les présences qui y négocient leur place, de tous les egos qui sauvent leur peau à défaut du monde. On n’en sort pas indemne, pas même fier·e. Le lieu travaille, pousse et déforme, s’enfuit. Il n’y a de bonnes pensées que celles qui font lieu et celles qui le défont à la fois.

On pense parfois que le quotidien du lieu le plus navrant, l’assommante litanie de la littérature administrative, la violence feutrée des politiques reptiliennes, les systèmes embarqués dans de jeunes corps qu’ils font parler, les manques et les pertes détruisent la poétique et le désir du lieu. Mais tout est contingence et le lieu est une formidable machine à fabriquer de nouvelles poésies affectées et survivantes de ce qui pourrait tuer le lieu. Le lieu accueille car il traduit le monde, les pensées et les paroles, les œuvres et les poèmes dans sa langue où tout à une place, avec sa bouche pleine de matière et d’hématomes.
Il est un récit qui dépasse mais n’oublie pas, qui grossit dans la colère et la fête. Il n’est pas son apparence, il n’est pas sa surface ni son quotidien. Il n’est pas que local, il est à beaucoup d’endroits et ainsi personne ne le cerne, ne le saisit, ne le possède, le lieu s’enfuit de son enveloppe, s’allie dans le proche, transducte le lointain.

Le lieu se fait en nous et ne disparaît pas.


4.
Ce dont la fin de Khiasma est le nom

Quand un petit centre d’art associatif tel que l’Espace Khiasma ferme dans la proche banlieue de Paris, en Seine-Saint-Denis précisément, c’est forcément un signe des temps. Des temps où ce, celles et ceux qu’il a défendu et contribué à rendre visibles, qu’il s’agisse des artistes, des auteur.es, des penseurs et penseuses ou des questions qui fâchent, des habitant.es indésirables, des pratiques minoritaires, des expériences de l’art ou des formes de vie et d’hospitalité, manquent cruellement de voix dans une société qui vacille. Khiasma a montré avec d’autres qu’il y avait quelque chose qui se passait là, qu’une solution à la violence comme projet politique existait et qu’elle n’était pas facile, qu’elle demandait chaque jour des efforts considérables. 

Une histoire se termine mais pas seulement celle d’un lieu. Peut-être aussi celle d’un territoire et de ses utopies concrètes. Affaire à suivre. Khiasma a poussé comme nombre de ses collègues sur les terres fertiles d’une banlieue qui s’était donnée les moyens de parler et de regarder dans les yeux tous ceux qui ont fait de la peur leur commerce.

La région la plus riche d’Europe est aujourd’hui devenue la moins hospitalière, errant sans programme d’un fantasme électoral à l’autre, spectre d’une culture apportée à tous au mépris de la vie de chacun et de ce qu’elle produit comme savoir. L’électeur fatigué est devenu le seul habitant de cette carte. Et l’épuisement la seule forme confuse de consentement. Le Grand Paris s’invente de son côté dans une nouvelle colonisation amnésique des territoires pauvres, piétinant une terra nullius, en attendant les prochaines révoltes du génie indigène qui respire encore sous le béton ciré. Ça nous rappelle forcément quelque chose au moment où d’autres rêvent de se réconcilier avec l’Afrique, sans les arrières pensées grossières de grand-papa, cela va sans dire. Chacun fabrique donc son petit monde dans le bac à sable des élites pendant que la puissance publique, elle, applaudit en docile spectatrice la leçon des riches sans plus jamais interroger une faiblesse qu’elle s’est inventée comme maladie. Et il se dit à l’heure du dessert d’un repas bourgeois que décidément les emplois aidés ça ne sert à rien, sans croiser le regard des domestiques qui s’affairent en silence et versent la boisson saluant cette boutade un peu acide qui fera bientôt loi. Les conseillers surpris par cette annonce soudaine font circuler un peu trop tard de vagues analyses bâclées dans la nuit qui prouvent par la science ce que la voix du maître a dit. La voix est virale, sa politique est vitesse. Et la femme de ménage qui a traversé la banlieue à l’aube, son pass Navigo durement négocié à la main, trouve les restes encore fumants de cette belle décision sur une table fatiguée.

La fermeture de l’Espace Khiasma ne parle donc pas seulement de Khiasma, mais de toutes les structures de l’art et de la culture qui se sont fabriquées dans la fragilité d’une économie du projet, où les dossiers et les bilans consomment plus de temps que le soin que l’on doit à la transmission, à la relation, à faire société. Où l’on est condamnés à faire semblant ou à périr de trop donner. On l’a vu s’installer à la fin des années 90 et elle est là maintenant, cette belle économie désastreuse qui ne sert qu’à nourrir une machine aveugle. Pas assez de financements stables qu’appellerait une mission de service public de la culture et un désir de contrôle du politique qui ne laisse plus d’espace à la délégation, à l’innovation réelle, à la recherche de l’accord dans le temps long, à la pratique des désaccords avec une population qui en sait plus que les brèves de BFM.

Toute cette musique sonne faux et même l’orchestre n’y croit pas. La professionnalisation du secteur ne sert plus que des désirs de vigiles de la culture, d’agents de sécurité des expériences sensibles de l’art, de CDD de la déradicalisation, de service civique de la peur. Il faut reprendre notre souffle car nous avons beaucoup couru sans jamais un moment de répit. Et ainsi nous avons validé sans le vouloir cette économie culturelle qui nous tue, cette couverture trop petite que l’on tire dans tous les sens. Et la seule solution qui s’offrait alors à nous était d’inventer un lieu de consommation, une petite industrie culturelle désirable et obéissante qui ferait semblant qu’elle ne met pas dehors les présences et les corps dangereux. Nous pensons qu’il y a d’autres voies possibles. Il nous faut arrêter de courir pour les explorer et découvrir ce que la culture pourrait devenir, dans un monde qui décide de ne plus accélérer et prend conscience de ses limites. Et ce faisant, invente une autre écologie de pratiques, une autre manière de partager et de produire un bien commun. Et les vies qui vont avec. La parole politique est devenue vitesse pure, elle ne doit plus nous traverser sans encombre, elle doit sentir la matière dont nous sommes faits, dont est fait le lieu qui nous habite, une hospitalité rugueuse, un alliage qui a de la mémoire.

Khiasma s’en va donc. Il faut apprendre à disparaître. A devenir une fable qui agit et empoisonne. Que d’autres vont rejouer, défaire et refaire ailleurs. Et la belle ne viendra pas mendier sa survie. C’est ainsi. Restes d’une conscience de classe, comme on disait au XXème siècle. Nous allons bientôt veiller autour de la morte élégante qui fait des clins d’œil du fond de son cercueil. Nous soustraire au regard dans son sillage. A ceux qui ont pris mandat pour détruire, nous disons que nous faisons alliances avec les morts, que nous chérissons la cendre qui nourrit les futurs. A ceux qui font économie de la violence et lustrent les statues de banquiers, nous disons que nous ferons notre retour dans un autre corps et un visage sale. Ce n’est pas commun de dire au revoir ainsi, on aimerait une tribune qui réclame quelque chose. Nous ne réclamons rien. Nous sommes là.

On se dit donc tout juste au revoir et à bientôt.

1.
From the zombie moment

A place has an end. It may not necessarily coincide with its disappearance. On the contrary, we’d prefer that this end of the place be a particular moment of its existence, a terrain of experience where something new grows in its decomposing matter. This would inevitably be unpredictable. And we’d have to do our best so that it would also be a happy thing, a beautiful death, a rich compost, hard-boiled too, a supple and resistant matter. To appreciate this end, we have to read into what remains, decipher heritage in the process of putrefaction, extract the diamonds encrusted in smoked flesh, the gold coins placed on empty eye sockets. This end leaves behind a treasure, a bit dirty and noisy, which calls out to courageous organs to help it build a future with. It involves the body, which wants to know, how to tremble in its company. It isn’t easy to take on this inconvenient matter, not for anyone who wants something unprecedented and new, for anyone who wants to set up shop on a crime scene washed of the stinking presence of the past.

In the chapter on decolonial practices I would happily place this gesture: knowing how to drag back the stink and bad manners of the dead onto the stage of the present-future, with their irritating perfume that fills nostrils and lungs. Imagine a body that was once domestic, the very one that escaped out a broken window, maliciously pulling with it the masters’ tablecloth1 Here it is, back again, limping on a rotting leg on which magnificent fungi are growing, its black face covered with seashells from having spent too long on the ocean floor with a half-human, half-squid army. With its chalky finger it returns again to scratch at the table and deposit its meal of indigestible and disturbing histories that tickle the intestines. Just long enough to reveal a transparent chest that dribbles down the thoracic cage and a scarred back on which all the Codes have been engraved, he or she is already disappearing with a sound of moist suckers, projecting streams of ink from an anus in the form of a talkative mouth. Understand what you can of this language. The prankster spirit doesn’t occupy the stage, he or she crosses it to the rhythm of the racket made by skeletons tapping their tibiae somewhere offstage. The end of the place should be vital and joyous, welcoming and bizarre; it is a survivor, a dance, the slow gliding of strange but familiar creatures that turns everything upside down, including the order of the place. The end refuses the imposition of silence; it is a bazaar, it is din and cacophony. It demands a translation which is already…the place to come.

Because the end we’re concerned with has nothing to do with the end of the obsessive and cadaverous body of the white male, with his endless and noisy agonizing, occupying the center of a stage he refuses to leave at any price. Here he is, a fat wrinkled baby, crying and demanding that his nappy be changed and that he be offered the breast of an obedient mistress. He who sees in his own finiteness the end of the world, a sterile and melancholy end, forbids any life that is not in the service of his worn out libido. It’s the body of the old king who sees himself as society, as a world where any voice that is not his is necessarily barbaric. We do not want that death. We forcefully kick its ass.

People frequently ask you to share your experience of the creation of projects, places, cultural situations, of diverse triumphs and heroic adventures. Rarely are you asked about the experience of an end, which no one wants to see. Even though you need to know how to end and we’re all ill prepared for it; you need to leave traces behind, juicy bones to gnaw, fertile matter. The end of the place is a place from which you can observe the place. It’s always a bit sad to see the end of a place. But at the same time, it’s also a bit sad to have to cling on to its survival. On principle. Just because you don’t want it to end, at the precise moment where you no longer know what, exactly, is dying. And what is not dying.

The death of the place begins with the long zombie moment, a joyous ceremony that puts an end to force of habit, repetition of the same old thing, the wear and tear of the place in its most daily form, in its most permanent masquerade. The place leaves its present, begins to decompose, allows ambient sounds to penetrate its body, and the murmurs of struggles change its state. It lets go in order to welcome in possible transformations. This end liberates the times of the place, old thoughts, old angers that resonate in new textures. Everyone doesn’t know that this is the end of the place. Everyone doesn’t know it at the same time or in the same way. To notice it requires attention, it cannot be seen with the bare eye. In its wake lost landscapes re-emerge, mutilated bodies, music and voices without master. You need to know how to welcome them. Welcome. It’s a ritual that some refuse to perform, a cuisine that requires applied mastication so that nothing remains blocked in the throat.

The Espace Khiasma was a refuge while Paris flaunted itself at its filthy margins, chasing the poor, erasing traces. And it is there that its disappearance could have the taste of defeat. This is why dying is necessary, but not disappearing, not as a refuge, even less as a story.

A place for culture and encounters, art and complicity, Khiasma opened its doors to the public in 2004 in Les Lilas, a suburb to the north-east of Paris, at a time when the Seine-Saint-Denis department was still relatively inaccessible to the purveyors of gentrification and coolness, thanks to a few traffic snarls on the peripheral highway, a fair number of vacant lots and bad reputations.

Khiasma started from the simple idea of a place based on no model, a place that didn’t try to resemble an art center, cobbled together with no particular strategy and narrating its life story as it happened alongside those who helped it emerge: polyphonic stories, convivial talk, steering maneuvers of awkward significance, poaching of forms. Khiasma was born in this economy of accident, in a moment unfettered by a culture police. This was before the arrival of those in the know, the embodied system that manages the imaginative heart of the place, demands accounts, proffers lessons, manners and methods, manufactures a time for the place, hunts down uncertainty, disguises the place so it can recognize itself in it, administers remedies for fear, cares for the place against its will, domesticates it, weighs it down with things it did not ask for. Khiasma tried to escape from this future. The Seine-Saint-Denis department, that rich and novel terrain for cultural and artistic experimentation, has also always had to contend with this same silly path and learned to lower its gaze when facing with the managers of the great tale of the future.

For this reason it is necessary to know how to enter into the moment of the death of the place, which occurs well before the notification of its official end, a secret moment when it removes itself from the bourgeois lesson, when it empties itself to allow other forms of life to inhabit it, when it hides, drifts and disappears already, becomes liquid, becomes sediment. S/he who wants to see it sees it leave the stage, slip out of the hands that wanted to own it, reinvent disorderly ways of doing and saying. The place gets back to the task of fleeing, beyond what no longer exists, far from what does not yet exist. From the light-deprived mangrove where it roams, from the ocean floor where it allies itself with other living creatures, the place sends out cries and poisoned arrows. It rediscovers its cutting poetry that twists the neck of administrative grammar. It amuses itself with the repetitive music of speech without consistency, the capture of words. It becomes unpronounceable. This is the zombie phase of the place, a long wake, the slow decomposition of its body.

It now survives amidst the gases of its putrefying organs. Like a spirit escaped from its fleshy envelope, it cackles with laughter. Because it has learned to live in its death.

The collection of short texts which follows, published in the autumn of 2018, is part of this endless tale that has been unfolding since the place of the death of Khiasma, echos of a story decomposing and recomposing itself in the close-lying suburbs of Paris.

(1) See « To decolonise is to be present, to decolonise is to flee, marronage from toxic hospitality and alliances in the mangroves », Olivier Marboeuf, in « Let’s decolonize the arts », Editions de l’Arche 2018



2.
To Speak with Words of Your Own

In the long story of Khiasma, the time has now come to try and tell the concrete and material tale that has fed the imagination situated within such a place. In the courtyard of a social housing block, a printing office. Precarity and friendship, neighbours and allies, the loyal and the forgotten, the debts, the anger and tiredness, unpromising evenings and afternoons of celebration, hypocritical politicians and idiotic policies incessantly inventing new flavours of disgust. We have a fierce love for Seine-Saint-Denis (A North-Eastern district in the close outskirts of Paris) as she enters with us into her zombie phase. Finished are the forbidden bodies, the friendly presences that lean as the night falls, the Kabyle cafés and communist smoke, those that speak too loud at dawn, those that do nothing but migrate, those that they kill and those that kill themselves through running as the only possible and desirable way to get through a life that doesn’t count. We have a debt towards these stories, we have to recount them with carefully chosen words, words that have had it rough but that look you straight in the eye, words of your own.

To speak with words of your own is not just a question of language. It is also the undoing of a certain encoding of the most concrete and often fragile experiences of our lives, of their encapsulation within the key words that form the base of the fluid and Anglophone traffic of our contemporary “motorways of thought” – and of their economy of attention – where every existence could be described by a handful of narrators held within the gaseous suspension of globalisation, repeated until exhaustion by an assembly of enamoured students and other servile species.

Because of course, it is always a question of love and of care regardless of the violence that is done to and by words. And if you don’t understand this, you will no longer be invited. And this religious love for repetition makes the most poetic of inventions from a silken hand; a knife that slices in the night, a torch thrown onto the faces of those that hide themselves within forms of bare life. We have almost come to bringing the nigger out of his dark cave where we threw him and where he withers away in silence, to take from him a last few vital principles, a final spark before he is completely exhausted.

For there is an urgent need to nourish the sick body of cultural institutions, to chuck the slop into the toothless mouth of this old man whose layers and mask must be changed. It will not be long until The Centre Pompidou sets itself into marronage, Kunsthalle and Art centres are already creolising and probably soon a queer MoMA will co-produce indigenous imaginaries with a fugitive Tate. This is the grotesque economy of minority practices that become the motifs of a neoliberal market of unarmed knowledges. Dangerous bodies and dispossessed territories are now held at a reasonable distance and the cultural police assure a healthy cordon. Everything is fine. Everything is calm in the Ghetto tonight.

In this gluttonous economy of subjects, with a tenacious amnesia, we have almost become miserly with our conversations. Yet the very production of such an authentic place depends enormously on our capacity towards choral thinking and on the free circulation of words. Especially when this form of thinking is not so well informed and tries to find what it is saying along the way, is not afraid to disappoint or to not always be part of the family. A form of thinking that doesn’t care to speak too loudly, nor at the same time as everybody else.

The Place depends also upon a kind of hospitality for thought that disturbs, for the body that doesn’t know, the body that appears unannounced, accidentally, speaking a language that is still uncertain on this constantly moving terrain. Like the drunk guy that walks into the yard and tells of his life as a poet, the neighbour in his nightgown who has lost his voice or his memory, the girl that starts a thousand phrases but never finishes one, the children that roam like cats and those that search for a bit of warmth with their phosphorescent eyes. The Place depends upon an unpoliced kindness that goes without saying, an active principle that quite simply holds up the walls – but that has no value in any kind of market of « love ». It is just about being here with those that are here.

But to situate somewhere is not a simple matter of geography, it is not a kind little task done to impress the tourists of contemporary art and the holidaymakers of the political. We don’t necessarily want to be those little dishevelled peasants, those complaining artisans whose « authentic production » people come to admire with a condescending hug. « This place is so amazing! So beautiful! » To situate a Place is to give close attention to its material conditions of appearance and existence, to its grime and its shit, its cowardice, its fears and its renunciation too, to give attention to what it demands and costs, and to who it costs, to that which has not been examined to tell its story, to that which has been hidden and thrown into the shadows. It is to say fuck you to violent shortcuts and to the insufferable ignorance of those who endlessly discover that you exist through looking at themselves in the mirror of your own body, only to then frown when they do not recognise themselves in it. It is to attempt to speak with those words there, affected by the anger and astonishment of still being alive. To speak to our allies far and wide. Like a Place, a Zombie Place.



3.
The place becomes within us



It would have been easier only to be a poetess – authentic, political, serene –, a feminist poet of course, obviously, communist of the right period, or a libertarian type, funny and erudite, a solid guy, a fluid girl, those who wherever they go find their place, those who go unnoticed in the tapestries of bourgeois salons and appear suddenly revolted over the course of an election night. Angry when one should be and good company otherwise, with no hesitations or hard feelings. Capable of forgetting the most sordid situations, amnesic witnesses of the harmful gestures, of the black bouncer’s empty look, of the bodies we quietly ban on the doorstep of safe places, never on the bad side of an argument, gliding on the curtain’s soft surface without ever lifting it, and who know how to play the cool fable of possibility, of let-everyone-give-what-they-have-and-may-the-best-win.
But the map is also populated with those who won’t fit – sorry, not tonight. They have not chosen to but feel it very early on and carry out, with this peculiar feeling, a whole string of things that should not be done. Starting with wanting to speak up and look behind the curtain. Like Bluebeard’s wife committing the fatal move and becoming a witness against her will, a witness of her whole body, marked, until she can no longer pretend as if it hadn’t happened, act like before. So it’s not tonight for these women and men, though they learnt to pee where they’re told and listen to the lessons of those who always know what to do and how to live all the possible lives, including yours of course. When you don’t have the means, you just wait for you turn to come, on hold in the toilets of history. Because if you don’t have the means, the right gestures, if your words are a little off-kilter, your profile blurred, if you can’t build ideal conditions, the smooth perfect surface of ideal conditions, then you should remain quiet because you won’t be doing things properly. To make a place, truly, is to puncture this surface of the fable of the politically immaculate, it is to scuffle with the conditions, to dive to a situation’s mucky source and inquire, about where it’s all coming from, and to whom it really costs, to gigantic leeches basking in the shallows. One does not do this. One should stand still and quiet, looking to strike the perfect pose, the perfect grainless image. Be a good sport.

But there was a place to make. Fatally. Why so? We do not know. Khiasma is an accident that’s become so meaningful in time that it’s difficult to picture it as the result of pure chance. Difficult, too, to explain it otherwise than as an old itch turned one day into a thought in action. The place had to become. And it is us that it found this time around, lurking in the area.

The place had to be done or perhaps the “making place” grabbed us as it passed through with its animistic power. Maybe it figured we looked a little broken, that we were surely a bargain. We shouldn’t play smart about it because the place found us a little ignorant and a little naive. It was forbearing in that way, no doubt about that. It left us the time to learn and the time to undo some mess, and also to invent our lives by failing over and over again. The place became within us, all of us who worked within it, passed through it, came to it looking for something, a hand’s warmth, some cold water to put out the city’s fires. The place pushes its membrane to the outside, we are its skin and nerves. We filter the anger which makes the place, and the joy, which makes the place. Making place is to be caught, life Bluebeard’s wife, our hand and soon our whole body at the heart of the problems, in the very matter of the political who, in turns, dazzles us, disappoints us, harms us. The place is surprise and lowness, is pleasure and ugliness. The place is deceptive in that it is generous, teaching us what we do not wish to know, putting us in the presence of undesirable thoughts and forcing us to live and think with them. It is not only a question of affinities, it is also subject to misunderstandings. It infiltrates us against our will. For a long time we ran after the right harmony, a way to understand each other but then we realised that the worst frustrations, the stupidest of attitudes are among the place’s gifts as much as the most profound friendships. What we did wrong, the mistakes, the words that went too far and the words we lacked are the place’s treasures, its specific knowledge, powerful and toxic, difficult to grasp, a place’s pearls deep down inside a place’s shit.

There is no heroic way to make place, no chance of succeeding over time. Each piece of good news brings its part of scum, all the ideas bear their weight and shape as they lay their fat behinds down onto your life’s keyboard and write out something else than what was planned.
The place needs no heroes nor heroins, though it demands and consumes sacrifices. It is unclean matter, an ambiguous and misshapen distillation of all the presences that negotiate their space within it, of all the egos saving their skins for want of saving the world. One doesn’t come out of it unscathed, or even proud. The place grinds, pushes and distorts, flees. There are no good thoughts other than those who make place and unmake it all at once.

One sometimes thinks that the place’s most depressing mundanity, the dumbfounding litany of administrative literature, the muted violence of reptilian policies, the systems embarked inside young bodies through which they speak, the lacks and the losses, destroy the place’s poetics and desire. But everything is contingency, and the place a machine fabricating new poetries, affected by and surviving to what could kill the place. The place welcomes since it translates the world, the thoughts and the voices, the works and the poems into its language where all have a place, inside its mouth full of matter and bruises.


It is a story that exceeds but does not forget, that swells with anger and with celebration. It isn’t its appearance, it isn’t its surface or its everyday routine. It isn’t just local, it is in many places at once in such a way none can surround it, seize it, possess it. The place flees its envelope, builds alliances in the near, transduces the faraway.

The place becomes within us and does not disappear.



4.
What the end of Khiasma stands for



When a small-scale independent art centre like Espace Khiasma closes in the Paris suburbs, in the district of Seine-Saint-Denis specifically, it is necessarily a sign of the times. Of times when that and those that it defended and strived to render visible – artists, authors, thinkers or boiling issues, undesirable inhabitants, minoritarian practices, experiences of art or of forms of life and hospitality – cruelly lack a voice in a faltering society.
It is the end of a history, but perhaps not only that of one individual place. Perhaps also that of a territory, and its concrete utopias. Watch this space. Khiasma was nurtured, as were many of its colleagues, by the fertile land of a suburb that had made sure it had the means to talk and look into the eyes of all those who have made of fear their business.

Europe’s richest region has today become the least welcoming, aimlessly wandering from one electoral fantasy to another, the spectre of a culture brought onto all regardless of individuals’ lives and what knowledge they produce. The tired voter has become the only inhabitant of this map. And exhaustion the only confused form of consent. Meanwhile, the Grand Paris invents itself in a new amnesic colonisation of poor territories, trampling a terra nullius, waiting for the next revolts of the indigenous genius still breathing under the polished concrete. This can only bring back some memories, in a time when others talk of reconciliation with Africa – without grandpa’s gross after-thoughts, it goes without saying.

So each and everyone builds their own little world on the elites’ playground, while the public authority stands applauding the lesson of the rich, a docile spectator no longer interrogating a weakness it has integrated as a disease.

And it is said, over dessert in a bourgeois dinner, that the emplois aidés (government hiring incentives for non-profit organisations) are decidedly of no use to anyone, without a look for the servants who move about in silence and pour the drinks, saluting this slightly acid joke that will soon become law. Surprised by the sudden announcement, advisers rush to send out vague analyses, botched out during the night, proving by science what the master’s voice said. The voice is viral, its policy is speed. And it is for the cleaner, crossing the suburb at dawn, a hard-fought public transport pass in hand, to find the leftovers, still fuming, of this fine decision, laying on a tired table.

Khiasma’s closing down thus doesn’t just concern Khiasma, but all art and cultural organisations that built themselves in the fragile economy of projects, where applications and reports take up more time than what we owe to transmission, to relation, to creating a community. Where we are doomed either to pretend or to perish from giving too much. We saw it settle at the end of the 90s and it is here now, this fine disastrous economy that has no use but to feed a blinded machine. A lack of the stable funding that a cultural public service mission would call for, a desire of the political that leaves no more space to delegating, to true innovation, to looking for understandings in the long-term, to a practice of arguing with a population that knows more than the 24-hour news channels’ flashes.

This whole music sounds out of tune, and even the orchestra knows it. The sector’s professionalization now serves only the desires of cultural watchdogs, security guards of art’s sensitive experiences. We need to catch our breaths because we have run a lot without ever a moment’s respite. And thus we unknowingly condoned this cultural economy that kills us, this ever-shrinking blanket we pull in every direction. And the only solution then offering itself to us was to invent a place of consumption, a little cultural industry, desirable and obedient, that would pretend not to leave out dangerous presences and bodies. We think there are other possible paths. We need to stop running to explore them and discover what culture could become, in a world that decides to no longer accelerate and becomes aware of its limits. And, in doing so, invents a new ecology of practices, another way of sharing and producing a common good. And the lives that go with it. The political word has become pure speed, it must cease to run through us effortlessly, it must feel the matter we are made of, of which is made the place that lives within us, a jagged hospitality, an alloy blessed with memory.

It’s the end of the road for Khiasma. One must learn to disappear. To become a fable acting with agency, a poison. For others to replay, undo and redo elsewhere. Yours truly won’t be begging for its survival. That’s the way it is. Leftovers of a class consciousness, as one would have said in the 20th century.

 We will soon be waking over the elegant dead body, winking at us from the bottom of its coffin. Moving away from the light in its footsteps. To those who took mandate to destroy, we say we have made alliances with the dead, that we cherish the ash that nurtures future becomings. To those who have made of violence an economy, and shine the statues of bankers, we say we will return in another body and with another dirty face. It isn’t common to say goodbye this way, one would like a platform from which to demand something. We demand nothing. We are here.

So it’s nothing other than goodbye, and see you soon.

Translate from French by Liz Young and Leila Ghaist.

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