Comme je m’avais perdu # 1 (fr)

Fantômes
photos Huawei Sabrina Pennacchietti – Collectif La Seine – 17 rue Claude Bernard à Aubervilliers

Mardi 7 Mai 2019.

Barbara m’a invité en résidence à La Maison à Saint-Denis. J’ai été très heureux, honoré même, d’avoir la chance d’être l’un des habitants de passage de ce lieu qu’elle a construit pour faire famille. Une maison. Un abri. Un bivouac. La Maison est encore en chantier mais elle est déjà un espace possible d’imaginaire et d’hospitalité. On l’invente, on la parle. La résidence commence donc aujourd’hui sous les auspices de mon absence totale de sens de l’orientation qui me guide dans des rues par conséquent toujours nouvelles. En Seine-Saint-Denis, à la recherche d’une matière amie. Comme je m’avais perdu.

Visite à midi avec Barbara du 17 rue Claude Bernard à Aubervilliers. Elle m’écrit par sms qu’il faut venir faire voir. Faire quelque chose. Le 170 fait le reste. Port des Lilas – Gare de Saint-Denis, via Pantin et Quatre Chemins. Autant dire que c’est la traversée idéale pour commencer.
Tout au bout de la rue, on ne peut pas aller plus loin, le grillage, puis le canal Saint-Denis. On tourne à gauche avant l’eau. Un local technique de la ville de Paris. Au sol, dans la semi-obscurité, des lits de fortune, entassés. La lumière du jour est filtrée par des rideaux improvisés. Dehors on cuisine, on lave. Dedans, certains dorment sous les couvertures, d’autres se sont absentés. Marche entre les vies qui sont imprimées dans les formes des matelas, traverse la chaleur humaine. 130 personnes, hommes, femmes et enfants vivent là. Juste avant le canal. Et Camara dit avec ce français qui a une histoire, si précis et tranchant, ce français du bon élève de l’administration ivoirienne : « on ne peut pas aller plus loin, plus loin c’est le canal et nous on ne sait pas nager. Donc si on nous pousse plus loin, si on nous violente, il y aura des morts et je vous jure qu’il faudra en rendre compte ». Un seul toilette. 130 personnes. En attente. D’une régularisation, d’une vie possible, d’un lieu. Ils ont été chassés d’un peu plus loin, dans la même rue, sans aucun document, comme ça, par la force qui peut tout. Alors ils sont là. On leur a dit il y a onze mois qu’ils pouvaient être là, s’ils ne dérangeaient pas les riverains. Les riverains s’appellent les Albertivillariens, on ne doit pas les déranger. Tout est propre dehors. Les habitants du 17 rue Claude Bernard ont demandé des poubelles pour ne pas déranger les Albertivillariens. Mais pourtant, ils ne peuvent pas rester. On ne veut pas d’eux, dans ce dernier bâtiment avant le gris acier du canal, tout au bout d’une rue du Grand Paris, ils doivent partir, on leur dit de partir, parce que quelque part ça dérange, c’est dangereux, c’est insalubre. On ne veut plus les voir, on veut qu’ils disparaissent.

On aurait presque envie de leur dire de fabriquer des tables de ping-pong avec les palettes entassées dans la cour, de faire des jardinières et de semer des plantes aromatiques, de construire des transats, de faire une petite cantine avec du mafé vegan, avec les herbes qui pousseraient là, en circuit court, au bord du canal, et de programmer des soirées de musique électronique, du mbalax, du coupé décalé avec un rythme de trap et des synthés gothiques, de se teindre les cheveux, de se couper les pantalons, et d’organiser des cours de danse, de construire un village d’artisans à base de récupération et de l’ouvrir l’été aux touristes qui accosteraient par le canal sur une plateforme en palette pour faire réparer leur vélo. Alors peut-être qu’ils pourraient avoir avec la ville de Paris, avec la région Île-de-France, avec la Métropole, une convention d’occupation cool, un bail précaire sympa. Alors peut-être qu’ils pourraient participer pleinement au Grand Paris, croquer dedans comme dans la cuisse d’un gros poulet frit, plutôt que de hanter les lieux et de déranger les habitants qui le soir aiment à être bercés par le son de l’eau du canal où se reflète la silhouette du Stade de France, et avec elle les victoires passées et à venir de la République du football.

On doit repartir. On va chercher un avocat, des alliés, des recettes pour faire lieu, faire ce lieu dans la splendide métropole qui vient. Allez-y, passez donner un coup de main, apporter de la présence et de l’écoute, pour que le 17 ne soit plus invisible, pour le 17 soit entendu.

LIRE / ÉCOUTER  ICI.
R22,  Rester. Étranger
SÉQUENCE #12 : SOUTIEN AU 17 RUE CLAUDE BERNARD À AUBERVILLIERS 

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